• Latest
  • All
  • Éditions

Akram Kharief: France-Algerie solder la dette mémorielle et avancer

2:07 PM - 28 avril, 2025

Les intentions de l’Arabie Saoudite en tant que médiateur dans la guerre en Ukraine

1:12 PM - 3 mai, 2025

Israël et Qatar : Un nouveau Watergate

1:57 PM - 2 mai, 2025

Trump simule un état de siège comme l’avait fait Bush

6:55 PM - 30 avril, 2025

Bruxelles n’affiche pas une position claire en faveur de la Turquie démocratique

1:35 PM - 25 avril, 2025

Téhéran menace d’escalade avec Washington

2:31 PM - 24 avril, 2025

Les Syriens en Europe observent la situation dans leur pays

2:43 PM - 22 avril, 2025

L’équilibre stratégique du Qatar : Comprendre la politique étrangère de Doha

1:46 PM - 17 avril, 2025

Réactions occidentales à la répression turque

1:38 PM - 17 avril, 2025

Les piliers de l’autoritarisme dans le discours religieux

2:35 PM - 14 avril, 2025

Le lobbying en faveur de l’islam politique en Allemagne

1:50 PM - 13 avril, 2025

Le phénomène des « loups solitaires »

2:09 PM - 12 avril, 2025

Les nouveaux gardiens de la morale : Outil de réforme ou épée de censure ?

2:35 PM - 11 avril, 2025
10:36 AM - 12 mai, 2025
  • fr Français
  • en English
  • de Deutsch
  • ar العربية
  • Login
MENA Reseach Center
No Result
View All Result
MENA Reseach Center
No Result
View All Result
MENA Reseach Center
No Result
View All Result

Akram Kharief: France-Algerie solder la dette mémorielle et avancer

2:07 PM - 28 avril, 2025
A A

Photograph: AFP

Tenant compte de la nouvelle crise dans les relations franco-algériennes, ainsi que la situation au Mali à la frontière algérienne, nous avons eu l’occasion de s’entretenir avec Akram Kharief, journaliste et chercheur algérien dans le domaine de la sécurité et de la défense, qui nous présente la perspective algérienne. L’entretien a été mené par Denys Kolesnyk, consultant et analyste français, président du MENA Research Center.

La présidence de la République algérienne a annoncé, le 20 avril, la tenue d’un Conseil des ministres présidé par le président Tebboune, au cours duquel un projet de loi sur la mobilisation générale a été adopté. Ce projet vise à renforcer le dispositif algérien concernant la mobilisation, les situations d’urgence et éventuellement la guerre. Pourriez-vous nous expliquer les raisons derrière son adoption, ainsi que le timing ?

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une nouvelle loi, mais plutôt d’une modification de l’article 99 de la Constitution, qui traite de la mobilisation générale. Cet article était jusqu’ici jugé à la fois vague dans sa formulation et rigide dans sa mise en œuvre, notamment parce qu’il exigeait une mobilisation importante d’acteurs institutionnels pour enclencher une telle décision.

Dans sa version initiale, l’article 99 stipulait qu’une décision conjointe du Conseil du gouvernement et du Conseil de sécurité était nécessaire, accompagnée de l’avis du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale. L’ensemble du processus reposait donc sur un large consensus politique.

Nous ne savons pas encore précisément quel avant-projet de loi a été retenu, mais deux orientations semblent possibles. La première consisterait à simplifier la procédure en réduisant le nombre d’acteurs impliqués — peut-être en limitant la décision au seul Conseil de sécurité, ou au chef du gouvernement avec l’avis des présidents des deux chambres. La seconde, à l’inverse, s’inscrirait davantage dans une logique de renforcement démocratique, à l’image de la procédure adoptée pour l’envoi de troupes à l’étranger, introduite dans la Constitution de 2022. Cette voie impliquerait un passage obligatoire par les deux chambres du Parlement pour toute décision de mobilisation générale. Mais, pour le moment on ne le sait pas.

Quant au contexte temporel de cette décision, il faut dire qu’il est particulièrement significatif. Elle a contribué à orienter, voire à influencer, à la fois l’opinion publique et le débat politique en Algérie. Il est vrai que le pays fait face à une multiplication de tensions dans son voisinage immédiat, et le moment choisi pour cette initiative a suscité des interrogations. Il pourrait laisser penser à une forme d’escalade ou de crispation des tensions régionales, bien que cela reste à confirmer.

L’Algérie est actuellement confrontée à plusieurs dossiers sensibles comme des différends persistants avec le Mali, des inquiétudes liées à la présence du groupe Wagner, des relations tendues avec le Maroc, ainsi que des frictions avec certaines factions libyennes. Dans ce contexte, cette décision pourrait être interprétée comme une tentative du régime de resserrer les rangs sur le plan intérieur, de fédérer l’opinion nationale autour d’une posture de fermeté ou de vigilance face à un environnement régional perçu comme instable.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le pouvoir algérien a tendance à utiliser la dramatisation pour obtenir la cohésion du front interne et pour faire taire aussi les débats et les contradictions.

Parlons de la crise diplomatique entre la France et l’Algérie repart seulement quinze jours après un espoir d’un rapprochement. Emmanuel Macron a ordonné expulsion de douze agents consulaires algériens et a rappelé l’ambassadeur français en réponse à une mesure similaire prise par Alger. Pourriez-vous expliquer la cause réelle, selon vous, des relations franco-algériennes qui ne cessent de stagner depuis un bon moment déjà ?

La crise actuelle entre la France et l’Algérie trouve son origine dans la décision française de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire de Sahara occidental. Cet acte a été perçu en Algérie comme un point de rupture, déclenchant une série d’échanges tendus, voire virulents, entre Alger et Paris. Par la suite, les tensions se sont intensifiées du côté français, notamment à travers les prises de position du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sur les OQTF (obligation de quitter le territoire français) et d’autres litiges bilatéraux.

L’un des épisodes marquants a été l’expulsion d’un influenceur algérien résidant en France, dont le renvoi a été annulé par la justice française pour vice de procédure. Cet incident a alimenté l’idée, côté algérien, que la crise n’opposait pas les deux États mais plutôt l’Algérie à une certaine frange politique française, en l’occurrence l’extrême droite. Pourtant, le ministre de l’Intérieur, bien que classé à droite, a été perçu en Algérie comme l’incarnation de cette hostilité, exacerbant les tensions.

Une tentative d’apaisement a néanmoins eu lieu. Le 1er avril, les présidents des deux pays ont publié un communiqué conjoint marquant un retour à la normale et annonçant des engagements concrets, tels que des investissements français et une relance de la coopération sécuritaire et judiciaire. Dans ce cadre, des avancées étaient attendues sur les questions consulaires, notamment le traitement des laissez-passer pour les expulsions.

Cependant, cette dynamique positive a été interrompue quelques jours plus tard, suite à une affaire impliquant un dissident algérien réfugié en France, poursuivi dans les deux pays pour des faits graves. Cet homme, bénéficiaire de l’asile politique, aurait fait l’objet d’une tentative d’enlèvement sur le territoire français. L’enquête a mis en cause un agent consulaire algérien, dont le téléphone avait borné près du domicile de la cible. Ce seul élément a suffi pour justifier son interpellation par les autorités françaises, provoquant l’ire d’Alger qui a dénoncé une violation du droit diplomatique.

En réaction, l’Algérie a expulsé plusieurs agents français, vraisemblablement liés au ministère de l’Intérieur. La France a répondu par la réciprocité en expulsant 12 agents algériens. Ce nouvel épisode a ravivé la thèse, défendue côté algérien, selon laquelle certains acteurs français – en particulier au ministère de l’Intérieur – saboteraient les efforts de réconciliation entre les deux chefs d’État.

Historiquement, cette dynamique n’est pas nouvelle. Déjà sous Jacques Chirac, un traité d’amitié franco-algérien était en discussion, visant à renforcer les liens économiques et humains. Mais ce projet avait été torpillé par l’adoption en France d’une loi valorisant les « bienfaits » de la colonisation, provoquant une rupture nette.

On observe donc, de part et d’autre, une alternance entre volonté politique de rapprochement et actions hostiles menées par certains segments des appareils d’État, qui freinent durablement toute normalisation durable des relations.

Mais, selon vous, quelles mesures concrètes les deux pays peuvent-ils prendre pour reconstruire la confiance, en particulier dans la coopération économique et sécuritaire _? Et comment la dynamique intérieure en France et en Algérie pourrait-elle limiter ces efforts ?

La relation entre la France et l’Algérie ne peut être comprise à travers le prisme classique de l’aide au développement ou du soutien économique. L’Algérie n’est pas un pays pauvre. Elle n’est pas en quête d’assistance financière, ni dépendante d’investissements étrangers pour assurer sa stabilité. Ce constat, souvent oublié dans les débats publics en France, a une double portée. D’un côté, il lève une équivoque : le contribuable français n’a pas à « payer » pour de bonnes relations bilatérales. Mais il complique la lecture des tensions actuelles, en révélant leur nature profondément politique, mémorielle et symbolique.

Les différends qui subsistent entre les deux pays s’inscrivent dans l’histoire longue de la colonisation. Du point de vue algérien, la France n’a pas encore pleinement reconnu les crimes du passé colonial, comme elle a su le faire pour d’autres épisodes sombres de son histoire, notamment la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale et les persécutions subies par les populations juives. L’Algérie porte encore les séquelles de 132 ans de domination coloniale, de pillage économique, de violences de masse, mais aussi les effets persistants des essais nucléaires menés sur son sol, avant et après l’indépendance.

Dans ce contexte, un geste symbolique fort de la part de la France – la reconnaissance claire des crimes de la colonisation – pourrait constituer une avancée majeure. Il ne s’agit pas d’accuser la France d’aujourd’hui, mais de solder une dette mémorielle, comme cela a été fait à d’autres moments de son histoire. De la même manière, la question de la décontamination des anciens sites nucléaires reste un sujet sensible. Ce n’est pas tant une demande de réparation financière qu’un appel à la responsabilité, à la coopération technique et à la reconnaissance des faits.

Une fois ce socle symbolique établi, il devient possible d’envisager une nouvelle forme de partenariat. Un traité d’amitié pourrait jeter les bases d’une coopération structurée et durable, à travers des projets communs engageant les deux pays sur le long terme. Il pourrait s’agir d’infrastructures énergétiques stratégiques, comme un gazoduc, ou d’une coopération dans le domaine du nucléaire civil, reposant sur des modèles économiques de type « land lease ». L’essentiel est de créer une forme d’interdépendance positive, qui lie les deux pays dans le temps, sur vingt ou trente ans.

À côté de ces enjeux de souveraineté et de mémoire, la question migratoire reste un terrain de tensions. En France, le débat est dominé par la dénonciation de l’immigration clandestine et des défaillances en matière d’OQTF. Mais ce discours oublie un fait fondamental : la France bénéficie aussi, et massivement, des élites algériennes. Des milliers de médecins, d’ingénieurs, de personnels qualifiés, formés à grands frais par l’Algérie, font aujourd’hui tourner le système de santé français. Ce « brain drain », souvent présenté comme une chance pour les individus, représente aussi une perte sèche pour le pays d’origine.

Si la France souhaite un dialogue sincère sur les questions migratoires, elle doit aussi reconnaître cette asymétrie. Elle pourrait par exemple soutenir la formation médicale en Algérie, ou investir dans des filières de spécialisation locale, pour offrir des perspectives à ceux qui, sinon, partiront. L’enjeu n’est pas de limiter les mobilités, mais de créer les conditions d’un choix, au lieu d’un exil.

Mais la volonté d’immigrer ou non relève de la personne, et non de l’État français. Nous ne pouvons pas dire que la France force les Maghrébins à venir s’installer en France, n’est-ce pas ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous. D’ailleurs, il faut rappeler que les autorités algériennes, comme marocaines ou tunisiennes, ne s’opposent pas à la migration des criminels, pas plus qu’elles ne s’opposent à celle des médecins. Mais pour moi, cela interroge la cohérence des politiques françaises, qui dénoncent l’un tout en profitant de l’autre. Une approche commune, équilibrée et lucide, est possible. Elle exigerait une vision partagée des responsabilités, un effort de réciprocité et un véritable projet commun de part et d’autre de la Méditerranée.

En résumé, donc, pour relancer les relations franco-algériennes ou les remettre sur les bons rails, selon vous, il faut surtout se focaliser sur des aspects plutôt symboliques que financiers ?

Oui, tout à fait.

Je voudrais que nous revenions sur la question de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en octobre 2024. Comment cette décision affecte-t-elle l’influence régionale de l’Algérie et ses relations avec d’autres États du Maghreb, comme la Tunisie ou la Mauritanie ?

Tout d’abord, le plan d’autonomie du Sahara, qui est aujourd’hui promu par le Maroc, est de conception française. C’est un plan qui est né à la fin des années 1920, en France, par une volonté française de résoudre ce conflit. Donc, dès le départ, l’Algérie n’était pas du tout impliquée ; il y avait un parti pris, même si une sorte de neutralité était affichée. Mais le parti pris était bien là. La France voulait cela et l’a toujours voulu. Le fait qu’il y ait cette déclaration ne change pas grand-chose. On a toujours considéré que cette attitude neutre était plutôt de la cosmétique franco-française.

Concernant la France, je pense que cette annonce n’a été qu’un prétexte pour déclencher la crise. Ensuite, cela n’a pas changé grand-chose, du moment où la Mauritanie continue de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique et que la Tunisie maintient un statut parfaitement neutre sur ce sujet. Donc, cela a eu très peu d’effet sur les relations intermaghrébines.

Après, bien sûr, cela a tendu la situation entre l’Algérie et le Maroc, mais enfin, l’Algérie ne souhaite pas l’indépendance du Sahara occidental. L’Algérie souhaite l’application de ce qui a été signé par le Front Polisario et le Maroc sous l’égide de l’ONU, à savoir l’organisation d’un référendum. Ce référendum pourrait aussi déboucher sur une voie d’autonomie ou même sur une voie d’intégration au Maroc. Et dans ce cas-là, cela ne dérangerait pas Alger.

Parlons maintenant de la politique intérieur algérienne. L’année dernière le gouvernement de Tebboune a utilisé une rhétorique anti-française pour renforcer sa légitimité face aux accusations de fraude électorale. Quel rôle joue le sujet de la France dans le débat politique algérien ? Et quel rôle l’armée joue-t-elle dans la définition de la politique intérieure et étrangère de l’Algérie ?

La France occupe une position particulière dans l’imaginaire politique algérien : elle constitue une cible facile. Dans le contexte algérien, s’en prendre à la France reste une posture peu risquée, et souvent payante. Même les figures de l’opposition, malgré leurs critiques à l’encontre du pouvoir, ne prennent généralement pas la défense de la France face à ses détracteurs. En cas de tensions, elles peuvent même se retrouver dans une forme d’unité nationale contre elle. Cela s’explique en grande partie par la charge symbolique que la relation coloniale continue de porter et par l’absence de reconnaissance officielle par la France des crimes de la colonisation. Dans les moments de crise politique intérieure, accuser la France reste une stratégie commode, voire utile, pour détourner l’attention ou rassembler autour d’un discours commun.

Sur le plan institutionnel, le pouvoir algérien repose historiquement sur trois piliers : la présidence, l’armée et les services de renseignement. La présidence détient des pouvoirs étendus, avec un chef d’État théoriquement capable de révoquer n’importe quel responsable. L’armée incarne le pouvoir de coercition, avec la capacité, en dernier ressort, de faire ou défaire un président. Les services de renseignement, enfin, ont longtemps représenté le cerveau stratégique du régime : acteurs-clés du paysage politique, ils jouaient un rôle de contrôle sur les élections, les partis, et même sur l’opposition, avec une capacité d’influence rarement égalée.

L’équilibre entre ces trois pôles a été profondément bouleversé par la maladie puis la chute d’Abdelaziz Bouteflika. D’une part, l’affaiblissement du président a réduit le poids de la présidence. D’autre part, les services de renseignement ont été en partie absorbés par l’appareil présidentiel, perdant ainsi leur autonomie et leur pouvoir d’arbitrage. Ce vide a été comblé par l’armée, qui est devenue l’acteur dominant.

Depuis l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, un nouvel équilibre s’est instauré : une présidence dotée de larges prérogatives et une armée puissante, mais désormais peu désireuse de s’impliquer dans les affaires politiques au quotidien. Le chef d’état-major a obtenu ce qu’il cherchait — une hausse substantielle du budget militaire et un statut de ministre de la Défense —, ce qui lui confère un contrôle étendu sur les nominations au sein de l’armée. De son côté, le président, libre de toute pression militaire directe, gouverne comme il l’entend.

Ce tandem entre l’armée et la présidence fonctionne sur une forme de non-ingérence mutuelle, mais il affaiblit les contre-pouvoirs et marginalise toute possibilité de débat démocratique structuré. L’absence d’un troisième pilier fort, tel que l’étaient autrefois les services de renseignement, prive le système d’un arbitre et rend l’ensemble plus rigide, moins capable d’absorber les tensions ou d’ouvrir des espaces pour une réforme véritable.

Donc, le sujet de la France est quand même assez souvent évoqué dans des événements politiques antérieurs en Algérie. Ne pensez-vous pas que le débat politique algérien réserve un peu le rôle de « bouc émissaire » à la France ?

Ce n’est pas un phénomène exceptionnel, précisément parce que c’est facile. Mais cette facilité se retrouve aussi en France. Le thème de l’immigration, notamment celle en provenance d’Algérie, est lui aussi régulièrement instrumentalisé dans le débat politique français.

Ce n’est donc pas parce que la France est souvent évoquée dans le discours politique algérien que cette question constitue une priorité sérieuse ou structurante. En réalité, la France n’est pas un sujet central ni pour la population algérienne, ni pour les élites politiques, ni même pour l’armée. Elle revient plutôt comme un réflexe symbolique dans certaines séquences politiques.

Dans les faits, un Français voyageant en Algérie serait accueilli de manière chaleureuse, aussi bien par les citoyens que par les autorités. Et inversement, un migrant algérien vivant en France bénéficie de droits et d’une protection sociale sans commune mesure avec ceux disponibles dans de nombreux pays africains. Cela montre bien que la relation concrète, sur le terrain, est souvent bien plus apaisée que ne le laisse penser le discours politique.

La situation au nord du Mali, à la frontière algérienne, reste tendue. Le 1er avril dernier, un drone malien de type Akinci a pénétré de 2 km dans l’espace aérien algérien près de Tinzaouten et a été abattu par l’armée algérienne. Pourriez-vous nous expliquer les dynamiques de ce conflit ?

Il faut replacer les choses dans leur contexte, qui s’étend sur plus de treize ans. Le Mali était engagé dans un processus politique complexe impliquant une rébellion à caractère séparatiste ou autonomiste dans le nord du pays, à laquelle s’ajoutaient la présence de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique.

L’Algérie, qui jouait un rôle de médiateur, a initié un processus de paix ayant abouti en 2015 à la signature des accords d’Alger entre les autorités centrales maliennes et des groupes armés du nord. Ces accords prévoyaient que les groupes signataires renoncent à leurs revendications indépendantistes, s’inscrivent dans un processus politique et puissent intégrer les institutions maliennes, notamment l’armée et la police, dont ils étaient historiquement exclus. Il est important de souligner que les pratiques de recrutement au Mali ont longtemps été discriminatoires envers certaines communautés, notamment les Touaregs et les Arabes.

L’Algérie distinguait deux catégories d’acteurs : les groupes politiques armés signataires des accords, avec lesquels il fallait dialoguer, et les groupes terroristes contre lesquels la lutte devait être totale.

Mais ce fragile équilibre a été rompu après les coups d’État successifs au Mali et l’émergence d’une junte militaire soutenue militairement par la Russie et la société militaire privée Wagner. La nouvelle autorité malienne a unilatéralement considéré les accords d’Alger comme caducs, criminalisant tous les groupes armés, y compris ceux engagés dans un processus politique. Toute forme d’opposition a été assimilée au terrorisme, rompant ainsi la distinction entre acteurs politiques et groupes djihadistes.

L’Algérie, fidèle à sa ligne, continue de reconnaître la validité des accords d’Alger. Elle ne considère pas les groupes politiques du nord comme terroristes, contrairement à la position de la junte malienne. Elle offre refuge à des leaders politiques maliens et accueille des populations civiles fuyant les violences. Elle a également dénoncé, de manière constante, la présence de Wagner au Mali, et cette hostilité s’est traduite sur le terrain, notamment lors de l’affrontement de Tinzaouaten en juillet 2024, où des éléments de Wagner ont subi de lourdes pertes.

Ces tensions ont ainsi conduit à un refroidissement des relations entre l’Algérie et la Russie, Alger estimant que Moscou joue désormais un rôle disproportionné dans la région, en contradiction avec les équilibres diplomatiques historiques.

Et comment cette histoire a-t-elle impacté les relations de l’Algérie avec la Russie, compte tenu du fait que l’Algérie est un pays qui entretient des relations plus qu’étroites avec Moscou ?

Les relations entre l’Algérie et la Russie sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Si l’Algérie est l’un des principaux acheteurs d’armement russe et que les liens entre les deux armées sont historiquement solides, il n’existe pas pour autant une réelle proximité politique entre Alger et Moscou. Les deux pays sont même concurrents sur des dossiers stratégiques comme celui du gaz.

Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Algérie a refusé de s’aligner sur les positions russes. Contrairement à ce que certains auraient pu anticiper, Alger n’a pas restreint ses livraisons de gaz à l’Europe – ce qui aurait servi les intérêts russes en exacerbant la crise énergétique. Au contraire, l’Algérie a augmenté ses exportations vers l’Europe, contribuant ainsi à limiter la flambée des prix et à sécuriser l’approvisionnement énergétique du continent. Ce choix n’a pas été bien accueilli par Moscou.

Sur le plan diplomatique, l’Algérie a maintenu une posture de neutralité active. Elle n’a jamais fermé son ambassade à Kiev, et l’ambassade d’Ukraine en Algérie a continué à fonctionner normalement, avec des relations cordiales entre les représentants ukrainiens et les autorités algériennes. Les diplomates ukrainiens ont même été régulièrement conviés aux réceptions officielles, au même titre que leurs homologues russes. Si l’Algérie n’a pas explicitement condamné l’agression russe, elle ne l’a pas soutenue non plus : elle ne reconnaît ni l’annexion de la Crimée, ni celle d’autres territoires ukrainiens. Elle n’a apporté aucune aide militaire à la Russie, tout comme elle s’est abstenue de tout soutien concret à l’Ukraine.

Cette position traduit une ligne diplomatique de neutralité pragmatique, sans hostilité mais sans adhésion. Une posture que Moscou perçoit avec une certaine déception : les autorités russes considèrent qu’Alger aurait pu faire preuve de plus de solidarité, dans un contexte où les alliés véritables de la Russie se comptent sur les doigts d’une main. L’Algérie, elle, continue d’appeler à une cessation des hostilités et au retour à une solution politique.

Et quel est le rôle de l’Algérie dans les affaires maliennes ?

Contrairement à certaines idées reçues, l’Algérie n’a jamais apporté de soutien logistique, matériel ou politique à la présence de Wagner au Mali. Il n’existe aucune « dette » algérienne envers la Russie à ce sujet. Un seul épisode, en 2020, a pu prêter à confusion : un avion en provenance de Russie a survolé le territoire algérien en direction du Mali. À l’époque, on ignorait l’identité exacte des passagers, bien que des éléments laissaient penser qu’il s’agissait de membres du groupe Wagner. Cet épisode est resté isolé.

Dès 2021, l’Algérie a adopté une position claire et critique à l’égard de la présence de Wagner dans la région. Cette dénonciation s’est accentuée au fil du temps, en particulier à partir de 2024, à la suite des événements survenus à Tinzaouaten, à la frontière algéro-malienne. L’Algérie a alors exprimé fermement son opposition à la progression de Wagner dans la région, notamment à travers des signaux diplomatiques et sécuritaires explicites, sans pour autant s’engager ouvertement dans un affrontement.

En septembre 2024, une seconde tentative de Wagner de renforcer sa présence dans cette zone a, semble-t-il, été désamorcée en grande partie grâce à la fermeté algérienne. Il est probable que, face à cette résistance, les autorités russes aient exercé une pression sur le groupe paramilitaire pour qu’il renonce à son offensive. Dans les faits, l’Algérie, sans être directement engagée dans le conflit, a pu jouer un rôle décisif en soutenant indirectement les groupes touaregs opposés à Wagner, contribuant ainsi à une lourde défaite infligée à ce dernier à Tinzaouaten, où plusieurs centaines de combattants russes auraient trouvé la mort.

Pour terminer, je voudrais que vous évoquiez les grandes lignes de la politique étrangère algérienne, ses relations avec les puissances mondiales, ainsi que ses intérêts. Quelles dynamiques actuelles distinguez-vous ?

Je voudrais ajouter que malgré le fait que la position de l’Algérie vis-à-vis de la Russie est globalement neutre, mais teintée d’une certaine amitié historique. Les liens militaires restent solides, notamment à travers l’achat d’armements russes par l’armée algérienne. Toutefois, cette proximité ne se traduit pas nécessairement par un alignement politique. L’Algérie a une volonté de maintenir une posture indépendante, équilibrée, et non-alignée.

Avec les États-Unis, les relations sont particulièrement bonnes. Alger et Washington partagent un respect mutuel et des intérêts stratégiques communs, notamment dans le domaine des carburants alternatifs. Alger considère Washington comme un partenaire fiable et ami de longue date.

En ce qui concerne l’Union européenne, une phase de réévaluation est en cours. L’Algérie a récemment remis en cause l’accord d’association qui la lie à l’UE, estimant que celui-ci ne reflète plus ses intérêts. Une renégociation est souhaitée pour parvenir à une relation plus équilibrée. Dans ce contexte, l’Italie apparaît comme le principal partenaire européen d’Alger. Une coopération stratégique et économique forte s’est développée entre les deux pays, renforcée récemment sous le gouvernement de Giorgia Meloni. L’amitié entre Rome et Alger remonte à la période précédant l’indépendance algérienne, et n’a cessé de se consolider depuis.

La Turquie devient le partenaire économique de plus en plus significatif pour l’Algérie. Elle est le premier investisseur étranger hors hydrocarbures en Algérie. Ce rapprochement s’inscrit dans une dynamique plus large de diversification des partenariats.

À l’échelle régionale, l’Algérie mène une politique étrangère axée sur la stabilité et la coopération. Elle entretient de bonnes relations avec les communautés arabes présentes dans le Sahel, ainsi qu’avec ses voisins maghrébins. Une alliance trilatérale avec la Tunisie et la Libye s’est formée récemment, dans le but de mieux coordonner les réponses communes aux défis régionaux. Des avancées significatives ont été enregistrées, notamment sur les questions de transport – avec l’ouverture de lignes ferroviaires entre l’Algérie et la Tunisie – et de partage des ressources en eau. Ce dernier point est crucial dans une région aride, et l’accord conclu entre les trois pays représente un facteur important de stabilité pour l’avenir.

Tous les droits de publication et les droits d’auteur sont réservés au MENA Research Center.

Tags: AlgérieFranceRussieUE

Related Posts

Éditions

Les intentions de l’Arabie Saoudite en tant que médiateur dans la guerre en Ukraine

1:12 PM - 3 mai, 2025
Éditions

Bruxelles n’affiche pas une position claire en faveur de la Turquie démocratique

1:35 PM - 25 avril, 2025
Éditions

Patti était une islamophobe – les conséquences du verdict de Paris

3:30 PM - 27 mars, 2025
Éditions

Du Moyen-Orient à l’Europe les défis géopolitiques persistent

1:05 PM - 26 mars, 2025
Éditions

Le rôle de la base de Hmeimim en Syrie

5:43 PM - 25 mars, 2025
Éditions

La crise politique entre l’Algérie et la France : Une tension constante et des relations complexes

2:31 PM - 22 mars, 2025
MENA Reseach Center

2023 © by Target

MENA Research Center

  • Politique de confidentialité
  • Imprimer
  • Régions
  • Privacy Policy
  • Imprint

Follow Us

Welcome Back!

Sign In with Google
OR

Login to your account below

Forgotten Password?

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Log In

Add New Playlist

Pin It on Pinterest

No Result
View All Result
  • Publications
    • Recherche
    • Éditions
  • à propos de nous
  • Contactez-nous
  • Français
    • Anglais
    • Arabe
    • Allemand

2023 © by Target

This website uses cookies. By continuing to use this website you are giving consent to cookies being used. Visit our Privacy and Cookie Policy.
  • English
  • العربية
  • Français
  • Deutsch